8 déc. 2006

Operation Coup De Poing (Passe Passe)




Au panthéon des mixtapes au casting 100% hexagonal, la Opération Coup De Poing a fait date. Elle ne sera finalement concurrencée que par la Freestyle de Cut Killer et la Poska #.25 dans le même genre, semant les dernières Dontcha de quelques centimètres (trop courtes, argh). Sortie sous la bannière du label Court-Circuit en bizz avec Passe Passe, habituellement tourné vers la distribution sur le sol français des K7 d’outre atlantique du label Tape Kingz, elle est le thermomètre de la nouvelle scène française de l’époque avec la surreprésentation de l’écurie Time Bomb et la mise en avant de quelques groupes encore confidentiels (Nysay, Less Du Neuf) ou carrément inconnus (Dezé et sa clique Les Diksas/Issus de L’Ombre). Elle servira aussi d’aide-mémoire grâce aux dédicaces de sa pochette : Mike Tyson vient juste d’arracher sur le ring une demi-livre de viande fraîche à Hollyfield, et Booba paye toujours les intérêts de son taxi-baskets manqué. Il n’y a pas que le crime qui paie.




Face Direct Du Droit.
Ca commence fort avec l’intro de Dj Cream : sous vos applaudissements, le maître de cérémonie n’est autre que Jacques Martin qui annonce la couleur sur fond de Brigadier Sabari d’Alpha Blondy, titre dont une des lignes donnera son nom à la mixtape, et fait place à une méchante phrase accouchée grâce à une bonne série de scratchs cohérents mis bout à bout. On retrouvera la même recette scratchs/éléments de variet’ pour les intros des 2 faces de l’éloquente Ensemble Contre La Musique de France, autre tape concept sortie chez Passe Passe un peu plus tard.



Sur la lancée de son apparition sur Guet Apens de Weedy et le T.I.N, en bon boucher, Rohff ne fait pas de détails et met en pièce le ICE CREAM de Raekwon. Les Refrès et Dezé nous laisseront reprendre une pause que l’on ne retrouvera qu’à la fin de la face A pour les orphelins de l’autoreverse : la clique Time Bomb débarque au grand complet, si l’on excepte Booba, et le All Star Game peut commencer. Les bas de survet’ sont otés à vitesse grand V, ça démarre avec le membre de la team sans doute le plus sous estimé mais peut être mon préféré à l’époque et toujours aujourd’hui avec le recul : le texte d’Hi-Fi est une punchline géante de A à Z, comme à chaque fois ( « Tous issus d’la même grande famille, d’la même graine,/ pourtant la stupide cupidité gangrène/ jusqu’à mon propre bras droit /mes scarlas sont/ adroits /dans l’mensonge/ autant qu’ moi dans l’message/ j’ai des textes extras voir terrestres comme Roswell/ mais qui respirent toute la souffrance des négros comme le gospel… » ). Sans forcer, le bonhomme enfile les paniers comme M.J contre les Blazers et Clyde Drexler. Puis Ill-G (présent sur 2 freestyles solo et le morceau Le Club des Millionnaires) prend ses marques avec tout autant de facilité sur Intérêts & Origines, conclu par un « ton style est mort, mes condoléances » qui fera sourire bien des gens qui l’ont pompé honteusement depuis. Les rookies Kassim & Kamal a.k.a Jedi enchaînent sans faux pas et remontent le terrain pour servir Cassidy, « en route pour son meeting comme dans Get on the bus » : « mes amis s’animent, mes ennemis nous miment, nous singent, au loin 2 sorties d’secours, le rap et le oinj’ et sacrés comme les cendres qu’on tej’dans le fleuve Gange ». Arrive l’hymne d’un club dont tout le monde est membre au fond, on s’est tous fait notre délire « Si j’étais millionnaire », J-Zone en a également fait son leitmotiv depuis. Dialogue culte entre Tony et Mani, et c’est parti : Pit Baccardi inaugure l’affaire avec un couplet qu’il lâchera ensuite absolument partout, suivi de Kamal et d’Oxmo à l’aise dans l’exercice du story telling qui s’écarte même du thème initial pour terminer par un attentat revendiqué par la Black Mafia. On croit que c’est terminé, mais non, « on nous remet ça » et Ill ramène la dose de luxure qu’on attendait au concept et on imagine même la version clipée du bordel des ghetto millionnaires.




Courte pause publicitaire signée Nitro (qui avait déjà commis un truc dans le genre pour 88.2 et Original Bombattack) et les Pom Pom Girls font place aux 2/3 des Sages Poètes, fraîchement entendus à la même époque sur My Definition of Hip Hop vol.1 de Dj Enuff, prestations qui marqueront leur retour et la fin de leur silence depuis Qu’est ce qui fait marcher les sages et ses maxis. Mélopheelo et Zoxea remettent donc le couvert, suivis par leurs compatriotes altoséquanais Nysay, comprenant Cash (alias Salif) et Exs, le duo juvénile du label CII La Balle de Ziko. Grosse complicité, passe-passes, lyrics offensifs comme la grenade. Mêmes origines départementales, mêmes qualités avec des armes différentes pour Less Du Neuf juste avant une nouvelle histoire du black mafieux Oxmo Puccino dans le rôle de La Taupe. Le Time’s Up d’O.C permet le ball-trap parfait de Calbo et Lino qui plomberaient la cible même avec une arme enrayée. Time Bomb reprend le match là où ils l’avaient laissé, c'est-à-dire en écrasant la concurrence : Pit et encore davantage Ill soignent le goal-average, puis on découvre Cris alias Le K, devenu beatmaker sous le nom de Cris Prolific (Civilisé et La Lettre de Lunatic, Nique la Hala de Ali et son propre titre sur Opération Coup de Poing, Dieu a béni mon clan des X-men, le fabuleux LP de Beedjy, celui réellement fabuleux de Düne, entre beaucoup d’autres, c’est lui). La seule fois où je l’ai entendu poser une autre fois, c’était sur 88.2 lors de la session Time Bomb / I Am. Les notes de l’ultra usé mais toujours terriblement efficace Crab de Fierce permettent à Oxmo de lâcher ses fictions le temps de quelques mesures inquiètes et raisonnablement pessimistes et d’être l’artiste le + présent de toute la tape (2 freestyles solo, Le Club des Millionnaires, Esprit Mafieux).




Son maxi Jeu D’Enfant (sur la face B) paraissant en même temps que la mixtape, qui plus est chez Court-Circuit, Dezé débarque pour la 2nde fois et bénéficie de l’éclairage indirect de la vitrine jusqu’ici mise en valeur. On a connu pire comme mise en orbite, même si on l’oublie assez vite quand émerge la 2ème tête des Lunatic qui défoncera les arbitres récalcitrants comme le 1er jour de soldes chez Footlocker et mettra fin au débat s’il y en avait un :
« D’la rue j’suis pas une victime,/ j’trime fort pour sortir de là,/ idem pour ceux d’mon clan /faut qu’on serre les rangs/ c’est comme la guerre, on s’bat pour une cause perdue,/ une terre stérile comme au Sahel,/ on finira dispersés comme les 12 Tribus d’Israël,/ c’est l’enfer sur terre , priere pour mon salut,/ y’a qu’à voir en Somalie des gosses humiliés,/ décors d’Apocalypse,/ des corps calcinés,/ des frères servent de passe-temps aux soldats à la solde de l’O.N.U,/ après ça ils s’disent pourquoi on a la haine en nous …»




Face Morsure à L'Oreille.
Pas de répit, le temps de retourner la K7 et c’est reparti de plus belle : inauguration de ce qui deviendra une appellation contrôlée, Mafia Cainfri, et le baptême tourne au gang bang. Kéry James au sommet de son art, AP (113) Rohff et Mista Flow (Di Teep) déjà connus des autorités et les rookies révélations Yézi L'Escroc et Karlito qui marquent de leur empreinte la longue session. Point d’orgue de la partie fine, l'instru It’s The Pee remix de PMDAP lâche son couplet de Le quartier est agité, Kéry celui de J’ai mal au cœur du futur Le Combat continue à venir, et Karlito celui non moins mythique de La voie que j’ai donné à ma vie de la compil Nouvelle Donne. Hommage à Rocco Siffredi au refrain sur ICE CREAM, puis le gang bang finit en expédition punitive.


La session Banlieue Sud se termine et passe le témoin à une session Sudiste : la Fonky Family pose ce qui deviendra Sans Rémission sur leur album, puis Le Rat kicke l’énorme couplet de Rien à perdre sur l’instru du Mégotrip, titre finalement exécuté dans la foulée avec Sentenza et Freeman. Arrive un joyau initialement destiné exclusivement à une radio parisienne, Esprits Mafieux d’Oxmo & Ali, moitiés du groupe mort-né Le Bridge (avec Booba et Pit). Saint Preux prête ses notes à la science et l’autopsie laisse son quota habituel de punchlines :

« (…) C’est l'automne toute l'année, j'suis un arbre/ les potes tombent de mes branches, / les juges restent de marbre et m'laisse navré/ j'parle pas que d’moi, mais de toi aussi /je sais que tu le sais et si/ tu choisis d'en rire devant tes potes je sais que chez toi t'es die/ sapristi quel triste texte / j'essaie d'être gai mais/ j'écris c'que j'ai… »)

L’apparition d’Ali rappelle un peu le featuring des Lunatic sur 16 Rimes de La Brigade : court mais intense, limite j’te vole la vedette sans forcer. Le remake de ce titre sur le 1er LP de Busta Flex était déjà voué à être ridicule avant même d’avoir été commis :

« O.X.M.O Puccino, qu’est c’qu’on dit à ceux qui jouent les Nino/Brown, ici j’représente les mino/rités, mon créneau/donné de naissance, / sado inné pour dominer avec de l’aisance/ mon expérience me donne l’impression à 20 piges passées d’en avoir 50/ sache que le peu de respect qu’j’ai va pour mes parents/ j’pourrai prêcher la bonne parole comme un témoin de Jéhovah/ mais comment veux tu/ que/ dans ce monde de putes/ je/ puisse dire aux gosses que tout va bien/ A.L.I pour le Bridge/ lyrics de prestige. »


Tek des Refrès défonce littéralement le sample de Qui d’Aznavour avec L’Or Noir, meilleur titre du groupe jusqu’à aujourd’hui (alors que ce titre n’est qu’un solo en fin de compte, oui je sais), Dezé dépose sa carte de visite vinyl sur la cassette mixée, se payant même la fin de la face B avec sa troupe Les Diksas / Issus de L’Ombre, encadrant le brûlant Les Vrais Savent des Lunatic avec le grand absent du projet qui s’exprime enfin par un moyen détourné.

A noter les absences de gens comme Fabe, les collectifs du Ménage A 3, de La Cliqua ou d’ATK (même si on peut chipoter avec la présence des Refrès, ok) qui n’auraient pas démérité non plus. Mais le regret culmine lorsqu’on relit le texte promotionnel annonçant la sortie de la tape dans un des catalogues Passe Passe :


La cassette réunit sur une face les Freestyles exclusifs de :

Ali (Lunatic)/Rappeur Dezé/Monsieur Hill (Xmen)/Cassidy (Xmen)/Hi-Fi/Oxmo Puccino/Pit Baccardi/Ekoué & Le Franc-Tireur (La Rumeur)/Ärsenik/Kéry MC (Ideal J)/113 Clan/Mafia Cainfri (94)/Kamal & Kassim (Jedi)/Les Refrés/La Brigade.

Sur l'autre face,une sélection serrée de nouveautés,d'inédits et d'introuvables enchaînés & mixés par Dj Chester,Lord Issa,& Dj Noise des Natural DJ's avec : Les inédits "
J'Crache Ma Vérité " & " Article XI (Liberté D'Expression) " enregistrés cet hiver par la crème du rap français ( Akhenaton/Fonky Family/Rappeur Dezé/Little Ronnie/Expression Direkt/Ärsenik/Ministère Ä.M.E.R) en réaction à la condamnation anti-constitutionnelle prononcée contre NTM en octobre + " Jeu D'Enfant " ,le détonnant 1er single de Dezé produit par Juju, sérieux pavé dans la " mare aux canards " du rap français, + le superbe " Esprits Mafieux "d'Oxmo Puccino avec Ali des Lunatic, exclusivement enregistré pour une diffusion underground, + " Criminel ", le cri de ralliement des lascars de Garges-Sarcelles et de Meaux avec Passi et Stomy B. du Ministère Ä.M.E.R, Arco & Mystik, Ärsenik & Ben-J des Neg Marrons , + "Le Retour Du Shit Squad " , l'irrésistible hymne à la fumette de la Fonky Family, Faf Larage, Sentenza, Freeman & Le 3è Oeil + Bien d'autres morceaux triés parmi les succès underground , les classiques et les incontournables du rap en français.


Il en sera autrement au final. Problèmes de droits, embrouilles quelconques, on ne connaîtra jamais les raisons du remaniement tout comme on ne verra jamais la couleur de la version initiale de la K7, même si une des sessions studio a au moins bel et bien eu lieu.
La preuve ? Un papier de Jean-Pierre Seck dans L’Affiche, quelques temps avant la sortie du projet. Spots braqués vers Thibault de Passe Passe avec une anecdote :

« (…) Un des titres phares de cette k7 risque d’être le morceau ‘J’Crache ma vérité ‘. On y retrouve notamment Luciano Le Rat, parfait exemple de l’éclosion du rap français. « On a sorti l’instru en studio et on a proposé à la Fonky Family d’écrire sur la liberté d’expression. Ils ont tous suivi mais Le Rat avait l’air vraiment ailleurs. Il est reparti cinq minutes après son arrivée. On a du prendre la voiture et on l’a cherché pendant trois quart d’heure. Il était en train de chercher une bière pour ambiancer. On l’a ramené au studio, il a fait sa première prise. C’était de l’or pour les oreilles. Lui n’en était pas content. Le mec a fait neuf prises, neuf raps différents. Il n’arrivait pas à faire la dernière. Il a demandé qu’on baisse la lumière, s’est mis à genoux dans la cabine, a baissé son micro à hauteur de la bouche, mis son bonnet sur la tête pour ne rien voir et être concentré sur ce qu’il disait. Il a fait sa meilleure prise. »



Oui oui, ça fait toujours mal, même presque 10 ans après : à la fois la tape finale que nos lecteurs K7 ont joué des dizaines de fois, et son fantôme jamais sorti et ultra fantasmé par ceux connaissant son existence.


27 nov. 2006

J’irai vomir sur vos cendres



Une petite contribution extérieure, exception qui confirme les règles
et du coup la ménopause, une interlude mais pas forcément plus agréable que mes écrits : une plume trempée dans l'eau de javel, tout le monde en prend pour son grade, une pensée pour Paulette qui officiait à la cantine de ma primaire. C'est la Minute Soup.



«Entré dans l’rap j’pensais pouvoir y trouver la paix, un apport, la sécurité la sincérité», et non mon vieux Fabe, faut croire que tu n’avais pas tapé à la bonne porte. Mon jeune ami, tu penses avoir une plume correcte, tu connais la discographie complète de Kool Keith et tu as du mal à voir quelle pourrait être ta contribution à cette grande famille qu’est le Hip hop. Au fond de toi tu rêves secrètement de devenir journaliste. Permets moi de te donner deux trois recommandations histoire de te confirmer tout le bien que tu penses de ce beau métier.

La première des choses à avoir en tête est l’échelle sociale du hip hop, si tu l’ignores tu vas aller de déconvenues en déconvenues: aujourd’hui tu es sûrement à la plus mauvaise place, l’échelon zéro, celui du mec qui poste sur les forums : méprisé par les artistes qui voient en toi une mouche à merde, et par les journalistes qui perçoivent ton talent comme un concurrent potentiel. Car eux occupent l’échelon supérieur, l’échelon un.

A peine au dessus se trouvent ceux qui sont le plus à plaindre, ce sont les beatmakers inconnus: corvéables à souhait, on ne les appellera que quand le rappeur aura besoin d’un morceau en dernière minute, on lui expliquera aussi qu’il devrait changer ses caisses claires, que sa boucle aurait du être découpée autrement, on ne le paiera évidemment pas, et bien entendu son morceau ne sera pas sur le projet final.

Puis viennent les bonnes places : le rappeur tout d’abord, dont nous aurons l’occasion de reparler, associé au producteur. Souvent le producteur est un journaliste qui a réussi, il a tissé des réseaux d’influence en faisant des papiers de complaisance à une époque, et le milieu le lui rend bien en l’invitant à la meilleure table.

Enfin ceux qui gouvernent vraiment : les maisons de disques et les radios/chaînes de télévision: ils sont décriés par les rappeurs qui tueraient père et mère pour avoir leurs faveurs. Une fois que tu as cet organigramme bien en tête on peut s’atteler à expliquer ce qu’est un journaliste musical.

Tu as des étoiles plein la tête, tu penses que ta place te permettra d’aider le hip hop, vu que tu as échoué dans cette mission en tant que rappeur, tu crois que ta tâche sera de faire de la haute couture; oublie. Non, vois tu, ce qu’on te demande c’est de faire du sur mesure, avec des mauvais tissus pour des mannequins bedonnant. Tu voyais tes interviews comme des entretiens où l’échange est vif, où chaque réponse entraîne une question, où le propos de l’artiste est limpide. Désolé. Prépare toi à taper tes questions sur ton ordinateur, et à les envoyer par mail au rappeur, qui , entre deux clopes, répondra ce qu’il voudra, sans être perturbé par tes interventions, prenant soin de se relire pour voir sil n'a rien dit de trop compromettant. Eh oui mon ami, tu te moquais des dames de la cantine étant petit, mais maintenant c’est toi qui sers la soupe, et ce n’est pas de la bisque de homard mais du bouillon Magie. Comprends bien une chose: tu es au service de l’artiste, mais ce n’est pas pour autant qu’il t’estime. Il t’aime comme le dealer aime son client, il sait que sans les gens comme toi il n’est plus grand chose, mais il a entre les mains de quoi te faire revenir régulièrement vers lui, la fameuse «dose de crack music» évoquée par le Roi Heenock. Ne pleure pas trop sur ton sort, on t'a invité à entrer dans le casino, tous ces gens dehors t’envient. En outre, le barman t’offre de temps en temps à boire. Mais attention, tu ne fais pas partie de l’équipe, et la machine à sous qui t'est dévolue est la préférée du patron: tu vas y passer un long moment, de temps en temps une pièce tombe mais à la fin de la soirée tu y auras laissé ton salaire, sans compter que pour en arriver là, tu t'es privé de voir ta femme et tes enfants.

Autre chose: n’estime pas trop tes lecteurs. Le plus souvent ils savent à peine lire et n’écrivent qu’en sms, évite d’avoir de l’ambition pour eux, ne crois pas au mythe du papier bien écrit et à toutes ces conneries d’un autre siècle. Fut un temps où Boris Vian était chroniqueur musical, aujourd’hui on confie cette tâche à Soprano, adapte-toi, fais comme les rappeurs, utilise des mots que tu ne dis pas devant tes parents, des formules dont personne ne saisit le sens, comme «toi même tu sais», «t'as vu» ou «ce çomor tue sa race». Ce conseil est d’autant plus précieux que si tu ne le fais pas, tu passeras pour un homosexuel, et si c’est un titre de noblesse à la mairie de Paris, dans le rap game ça reste une tare.

En fait, tes problèmes ne viendront pas des rappeurs racailleux, qui très souvent sont bien plus ouverts et intelligents que leurs textes pourraient le laisser croire. Les choses se gâtent quand tu veux parler de ceux qui donnent l’impression d’être au dessus du lot. A ce sujet, j’ai une théorie que je te laisse apprécier. Ces mc’s ne sont pas foncièrement mauvais, mais, à la manière de certains joueurs de foot, ils sont victimes de leur entourage. A l’école, alors que tous ses copains n’arrivaient pas à orthographier leurs noms de famille, le rappeur a décroché son brevet des collèges, devenant «l’intello» de la bande. Depuis il se prend pour un homme de lettres (alors qu’il en est plutôt un du lavoir), il se passionne pour l’histoire des opprimés (n’essaie pas de lui dire que son idole Gandhi a fait une grève de la faim pour que les intouchables ne participent pas aux négociations, il ne te croira pas vu que personne n’en parle dans le film) et il finit par penser que chacun de ses mots a un poids considérable sur l’industrie du disque. Avec ce genre de gus, la prudence est de rigueur: la moindre interview va donner lieu à de longues discussions («non, là ce mot c’est pas exactement le mien») alors privilégie les articles, flatteurs bien entendu. Il va falloir que tu te blindes, que tu sois prêt à t’entendre dire que tu n’es pas «pro», sans sourciller, et que tu arrives à maîtriser l’envie que tu as de rétorquer «vu la voix que tu as, tu préfèrerais pas devenir beatmaker?».

N’oublie pas que les critiques ne peuvent que t’être adressées. A partir du moment où l’artiste a passé un an à préparer son album, et où tous ses potes lui ont dit qu’il était le nouveau Nas, c’est pas un petit merdeux dans ton genre qui va commencer à dire que peut être certaines choses sont à revoir. En fait, tu n’as d’intérêt que tant que tu es gentil et serviable. A ce propos il faudra que tu te choisisses un souffre douleur, un petit, un sur qui tout le monde tape, prends M. Pokora ou Doc gynéco. Après avoir tapiné pour tous les ratés qui te sollicitent tu te referas une virginité en tapant sur ce pauvre Matt dans un papier qui montrera que personne n’aura «ta liberté de penser».

Tu verras aussi que les salles de rédaction fourmillent de spécimens bizarroïdes, des producteurs qui ont gardé un pied dans le journalisme et qui s'en servent uniquement lorsqu’ils ont besoin de promouvoir une sortie à eux. Méfie toi car malgré les apparences, ils ne te considèrent pas comme un des leurs, tu n’es qu’un éventuel pion et le journal n’est pas une famille mais un lieu où ils viennent chercher des renseignements et des appuis. A la longue tu deviendras un peu comme eux, tu finiras par croire, par vanité, que ces gens qui te sourient sont tes potes, que tu te dois de leur faire profiter de ta place en parlant d'eux, tu verras les cd qu’ils t’envoient comme une dette dont tu voudras t’acquitter en écrivant quelque chose de lisse pour qu’ils soient contents. Au fond ce n’est plus ton coeur qui parle mais la pitié que tu as pour ces types qui la plupart du temps n’ont rien d’autre dans la vie que le rap. C’est grâce à lui qu’ils ont perdu leur pucelage et si tu leur retires ça, tu leur enlèves leur statut de célébrité locale, autrement dit leur seule chance d’avoir un jour des enfants. Voilà comment marchent les choses, à toi de te faire ta place. J’espère que mes conseils te seront utiles et t’éviteront de perdre trop de temps, même si je sais qu’une fois que tu auras intégré la grande famille du hip hop tu m’accuseras d’avoir craché dans la soupe. Si tu as bien lu mes conseils, tu sais que la soupe est imbuvable et qu’un glaviot passera facilement pour un oeil dans le bouillon.

Damien Ribeiro.


16 nov. 2006

Navigation à vue pour aveugles en quête de sens.

« Travaille mieux qu’ça où je t’envoie au Lycée Professionnel derrière la Mairie ».
Sacrée menace que je ne prenais jamais à la légère. Rétrospectivement, aujourd’hui encore, je ne saurai toujours pas justifier précisément la psychose que m’inspirait cette injonction.
Peur ? Peur de me retrouver avec le gratin (cramé) qui n’avait pas pu/voulu déjouer la même prophétie parentale ? Même pas, un collège en ZEP donnait déjà le ton et un avant-goût probant. La perspective de passer par l’infamant pseudo entonnoir des filières professionnelles, synonymes d’échec avant et après les avoir incorporées ? Un peu sans doute. Et un peu comme le coureur de 100m qui a eu le malheur de faire 2 faux départs et ne peut pas montrer de quoi il est capable, on s’éternise sur le tartan. Fameux et terrible moment qu’est l’orientation de fin de collège. On joue la montre alors que tout le monde sait déjà que l’on est éliminé, alors qu’on sait soi-même qu’une dernière chance serait la bonne. On prend quand même place pour le départ et on participe à la course. Au bout du couloir, le lycée et ses filières générales. Le lycée, classé ZEP lui aussi. Eviter le L.P, tout ça pour finir en Zone d’Education Prioritaire, satanée plus-value. Avant le départ de la course, tous convergent vers la gare de triage, chacun emprunte sa voie, croit l’avoir trouvée, ou se ment en croyant l’avoir déjà trouvée. Un « on verra bien plus tard » en guise de point virgule.


Vient alors la ligne d’arrivée. Enfin, certains la voient beaucoup plus tôt que d’autres, et pas forcément ceux partis les premiers, sans «handicaps». Ceux-là même qui ont été « punis » en obtenant leurs diplômes professionnels et qualifiants en 2 ou 3 années d’apprentissage, en trouvant très souvent un emploi à la fin de leur formation. 18 ans, un bulletin de salaire, une expérience déjà du monde du travail dans sa propre spécialité. Quelle situation d’échec. En parallèle, 18 ans, un diplôme d’études littéraires général, et un long tunnel qui nous attend en sortant pour les chanceux qui ont « échappé » au Lycée Professionnel. Tous les parcours scolaires ne se déroulent pas avec autant de désillusions durant la course et une fois arrivé. Mais parler systématiquement des trains qui arrivent à l’heure camouflerait l’absence de ceux qui n’arrivent au final jamais.



Amertume et rancœur. Le pire, c’est de savoir que l’on est mort sur le champs de bataille, abattu par un sniper avec tout ce que cela comporte d’anonymat. Qui, pourquoi, comment ? A qui en vouloir ? Objectivement, aucun responsable direct, un ennemi flou, mosaïqué. Et le vertige nous prend quand on croit voir notre propre visage en lieu et place de celui du tireur isolé. Un auto sabotage au moment de l’aiguillage décisif ? Le point virgule s'est fait lifté en points de suspension.

Devrait alors rester le plaisir d’avoir fait de longues études dites supérieures pour la beauté du geste, finalement. Filières littéraires, qui plus est spécialisées et spécialisantes avec un seul échappatoire rentable et conforme : l’enseignement. Une seule voie possible, en des temps où on embauche davantage pour grossir les rangs des forces de l’ordre que ceux du corps professoral, en des temps où le principe des vases communicants ordonne des coupes de budgets et des réductions de poste pour en attribuer –apparemment- davantage ailleurs.

Devraient alors rester les cours pour le GISTI, le soutien scolaire, les stages en collèges et lycées. Au lieu de ça, en fin de chaîne, une chair à canon putride qui farcit les artères de l’ANPE. Le crime fera entrer en bourse nos futurs pénitenciers et maisons d’arrêts privés, le pseudo échec scolaire fera quant à lui la fortune des avatars tout aussi privés de nos futures ex-Agences Nationales pour l’Emploi.

13 nov. 2006

Du sable dans les Boat (People)

L’épidémie de la grippe aviaire s’est déclarée. Elle gagne nos grandes villes, se propage à vitesse grand V. Les français s’enfuient à tire d’aile. Ils se dirigent vers les pays frontaliers, encore exempts de tout cas suspect.
Mais là, le rideau se baisse. On ferme les frontières. On nous condamne à rester de l’autre côté, malades. On choisit de nous regarder mourir, pour son propre confort en un sens.
Logique. Qui laisserait s’installer l’indigence en sa demeure ?
Pire. Des policiers en tenues de décontamination, bardés de champs stériles, nous déportent vers un endroit sain et sauf, pour les leurs. Sain et sauf car, à vol d’oiseau, il faudrait des jours pour revenir à pied à notre point de départ.
Inimaginable, en ces temps où tout se sait tout de suite, en ces temps de surmédiatisation, en ces temps de tragiques quarts d’heures warholiens.
Oui, mais…
OUJDA – ce 10 octobre 2005. Mamoutou n’est pas malade. Enfin, d’un point de vue strictement physiologique, médical, j’entends. Il est seulement porteur d’un trop plein de mélanine. Loin d’être de l’or noir, la mélanine. Mamoutou n’est pas venu au Maroc en touriste. Il y a seulement une chance sur deux pour qu’il soit orphelin, malade du sida, mutilé de guerre, affamé, apatride… Le genre d’héritage dont on se passerait. Il y a seulement 100 % de chance pour qu’il soit noir. Et pauvre. Bon, ça fait beaucoup.
Mamoutou ne saisit pas que, là, alors qu’il embarque menotté dans un avion pour Nouakchott, ses ancêtres les Gaulois ne lèvent pas le petit doigt pour lui.
Peur que le ciel leur tombe sur la tête. Sans doute.
Peur qu’un oiseau de fer n’atterrisse et n’accroisse la pandémie. Mais la pandémie véritable demeure encore la colonisation, conséquence d’un impérialisme gangrenant qui se veut rétroactivement toujours bienveillant. Paternalisme mué en rapports ancillaires se perpétuant encore aujourd’hui. Rémiges coupées au sécateur, encore aujourd’hui.
Mais… si les Etats-Unis d’Afrique ou d’Amérique débarquaient et annexaient un pays européen, et ce pendant minimum un demi-siècle, et qu’ils s’appropriaient toutes ses ressources, quelqu’un lèverait-il le petit doigt ? Et quand bien même personne ne réagirait, le pays annexé pourrait-il se relever du sort que lui a réservé la sangsue du sud, sachant qu’elle tient encore et les rênes, et les cordons de la bourse ? Où quand un oiseau de proie se voit couper les rémiges pour terminer gallinacé de basse-cour.
Mamoutou aime bien la politique-fiction. Pendant ce temps, il rêvasse aux Européens qui fuient le gant de velours qui les étreint et obstrue l’accès à la passerelle d’embarquement. La passerelle vers l’Europe, une mère adoptive ingrate, une mère comme Alzheimer en fabrique…
18/10/2005

On sait quand ça commence...


Bah wé, voilà un peu l'endroit où je déverserai tout un tas d'écrits plus ou moins pertinents, sans prétentions aucunes en tout cas. Du billet d'humeur à l'article balayant une série tv, un disque, un film, entrez et prenez place, il me reste des comprimés, il vous faudra bien ça pour vous tenir éveillés.