8 déc. 2006

Operation Coup De Poing (Passe Passe)




Au panthéon des mixtapes au casting 100% hexagonal, la Opération Coup De Poing a fait date. Elle ne sera finalement concurrencée que par la Freestyle de Cut Killer et la Poska #.25 dans le même genre, semant les dernières Dontcha de quelques centimètres (trop courtes, argh). Sortie sous la bannière du label Court-Circuit en bizz avec Passe Passe, habituellement tourné vers la distribution sur le sol français des K7 d’outre atlantique du label Tape Kingz, elle est le thermomètre de la nouvelle scène française de l’époque avec la surreprésentation de l’écurie Time Bomb et la mise en avant de quelques groupes encore confidentiels (Nysay, Less Du Neuf) ou carrément inconnus (Dezé et sa clique Les Diksas/Issus de L’Ombre). Elle servira aussi d’aide-mémoire grâce aux dédicaces de sa pochette : Mike Tyson vient juste d’arracher sur le ring une demi-livre de viande fraîche à Hollyfield, et Booba paye toujours les intérêts de son taxi-baskets manqué. Il n’y a pas que le crime qui paie.




Face Direct Du Droit.
Ca commence fort avec l’intro de Dj Cream : sous vos applaudissements, le maître de cérémonie n’est autre que Jacques Martin qui annonce la couleur sur fond de Brigadier Sabari d’Alpha Blondy, titre dont une des lignes donnera son nom à la mixtape, et fait place à une méchante phrase accouchée grâce à une bonne série de scratchs cohérents mis bout à bout. On retrouvera la même recette scratchs/éléments de variet’ pour les intros des 2 faces de l’éloquente Ensemble Contre La Musique de France, autre tape concept sortie chez Passe Passe un peu plus tard.



Sur la lancée de son apparition sur Guet Apens de Weedy et le T.I.N, en bon boucher, Rohff ne fait pas de détails et met en pièce le ICE CREAM de Raekwon. Les Refrès et Dezé nous laisseront reprendre une pause que l’on ne retrouvera qu’à la fin de la face A pour les orphelins de l’autoreverse : la clique Time Bomb débarque au grand complet, si l’on excepte Booba, et le All Star Game peut commencer. Les bas de survet’ sont otés à vitesse grand V, ça démarre avec le membre de la team sans doute le plus sous estimé mais peut être mon préféré à l’époque et toujours aujourd’hui avec le recul : le texte d’Hi-Fi est une punchline géante de A à Z, comme à chaque fois ( « Tous issus d’la même grande famille, d’la même graine,/ pourtant la stupide cupidité gangrène/ jusqu’à mon propre bras droit /mes scarlas sont/ adroits /dans l’mensonge/ autant qu’ moi dans l’message/ j’ai des textes extras voir terrestres comme Roswell/ mais qui respirent toute la souffrance des négros comme le gospel… » ). Sans forcer, le bonhomme enfile les paniers comme M.J contre les Blazers et Clyde Drexler. Puis Ill-G (présent sur 2 freestyles solo et le morceau Le Club des Millionnaires) prend ses marques avec tout autant de facilité sur Intérêts & Origines, conclu par un « ton style est mort, mes condoléances » qui fera sourire bien des gens qui l’ont pompé honteusement depuis. Les rookies Kassim & Kamal a.k.a Jedi enchaînent sans faux pas et remontent le terrain pour servir Cassidy, « en route pour son meeting comme dans Get on the bus » : « mes amis s’animent, mes ennemis nous miment, nous singent, au loin 2 sorties d’secours, le rap et le oinj’ et sacrés comme les cendres qu’on tej’dans le fleuve Gange ». Arrive l’hymne d’un club dont tout le monde est membre au fond, on s’est tous fait notre délire « Si j’étais millionnaire », J-Zone en a également fait son leitmotiv depuis. Dialogue culte entre Tony et Mani, et c’est parti : Pit Baccardi inaugure l’affaire avec un couplet qu’il lâchera ensuite absolument partout, suivi de Kamal et d’Oxmo à l’aise dans l’exercice du story telling qui s’écarte même du thème initial pour terminer par un attentat revendiqué par la Black Mafia. On croit que c’est terminé, mais non, « on nous remet ça » et Ill ramène la dose de luxure qu’on attendait au concept et on imagine même la version clipée du bordel des ghetto millionnaires.




Courte pause publicitaire signée Nitro (qui avait déjà commis un truc dans le genre pour 88.2 et Original Bombattack) et les Pom Pom Girls font place aux 2/3 des Sages Poètes, fraîchement entendus à la même époque sur My Definition of Hip Hop vol.1 de Dj Enuff, prestations qui marqueront leur retour et la fin de leur silence depuis Qu’est ce qui fait marcher les sages et ses maxis. Mélopheelo et Zoxea remettent donc le couvert, suivis par leurs compatriotes altoséquanais Nysay, comprenant Cash (alias Salif) et Exs, le duo juvénile du label CII La Balle de Ziko. Grosse complicité, passe-passes, lyrics offensifs comme la grenade. Mêmes origines départementales, mêmes qualités avec des armes différentes pour Less Du Neuf juste avant une nouvelle histoire du black mafieux Oxmo Puccino dans le rôle de La Taupe. Le Time’s Up d’O.C permet le ball-trap parfait de Calbo et Lino qui plomberaient la cible même avec une arme enrayée. Time Bomb reprend le match là où ils l’avaient laissé, c'est-à-dire en écrasant la concurrence : Pit et encore davantage Ill soignent le goal-average, puis on découvre Cris alias Le K, devenu beatmaker sous le nom de Cris Prolific (Civilisé et La Lettre de Lunatic, Nique la Hala de Ali et son propre titre sur Opération Coup de Poing, Dieu a béni mon clan des X-men, le fabuleux LP de Beedjy, celui réellement fabuleux de Düne, entre beaucoup d’autres, c’est lui). La seule fois où je l’ai entendu poser une autre fois, c’était sur 88.2 lors de la session Time Bomb / I Am. Les notes de l’ultra usé mais toujours terriblement efficace Crab de Fierce permettent à Oxmo de lâcher ses fictions le temps de quelques mesures inquiètes et raisonnablement pessimistes et d’être l’artiste le + présent de toute la tape (2 freestyles solo, Le Club des Millionnaires, Esprit Mafieux).




Son maxi Jeu D’Enfant (sur la face B) paraissant en même temps que la mixtape, qui plus est chez Court-Circuit, Dezé débarque pour la 2nde fois et bénéficie de l’éclairage indirect de la vitrine jusqu’ici mise en valeur. On a connu pire comme mise en orbite, même si on l’oublie assez vite quand émerge la 2ème tête des Lunatic qui défoncera les arbitres récalcitrants comme le 1er jour de soldes chez Footlocker et mettra fin au débat s’il y en avait un :
« D’la rue j’suis pas une victime,/ j’trime fort pour sortir de là,/ idem pour ceux d’mon clan /faut qu’on serre les rangs/ c’est comme la guerre, on s’bat pour une cause perdue,/ une terre stérile comme au Sahel,/ on finira dispersés comme les 12 Tribus d’Israël,/ c’est l’enfer sur terre , priere pour mon salut,/ y’a qu’à voir en Somalie des gosses humiliés,/ décors d’Apocalypse,/ des corps calcinés,/ des frères servent de passe-temps aux soldats à la solde de l’O.N.U,/ après ça ils s’disent pourquoi on a la haine en nous …»




Face Morsure à L'Oreille.
Pas de répit, le temps de retourner la K7 et c’est reparti de plus belle : inauguration de ce qui deviendra une appellation contrôlée, Mafia Cainfri, et le baptême tourne au gang bang. Kéry James au sommet de son art, AP (113) Rohff et Mista Flow (Di Teep) déjà connus des autorités et les rookies révélations Yézi L'Escroc et Karlito qui marquent de leur empreinte la longue session. Point d’orgue de la partie fine, l'instru It’s The Pee remix de PMDAP lâche son couplet de Le quartier est agité, Kéry celui de J’ai mal au cœur du futur Le Combat continue à venir, et Karlito celui non moins mythique de La voie que j’ai donné à ma vie de la compil Nouvelle Donne. Hommage à Rocco Siffredi au refrain sur ICE CREAM, puis le gang bang finit en expédition punitive.


La session Banlieue Sud se termine et passe le témoin à une session Sudiste : la Fonky Family pose ce qui deviendra Sans Rémission sur leur album, puis Le Rat kicke l’énorme couplet de Rien à perdre sur l’instru du Mégotrip, titre finalement exécuté dans la foulée avec Sentenza et Freeman. Arrive un joyau initialement destiné exclusivement à une radio parisienne, Esprits Mafieux d’Oxmo & Ali, moitiés du groupe mort-né Le Bridge (avec Booba et Pit). Saint Preux prête ses notes à la science et l’autopsie laisse son quota habituel de punchlines :

« (…) C’est l'automne toute l'année, j'suis un arbre/ les potes tombent de mes branches, / les juges restent de marbre et m'laisse navré/ j'parle pas que d’moi, mais de toi aussi /je sais que tu le sais et si/ tu choisis d'en rire devant tes potes je sais que chez toi t'es die/ sapristi quel triste texte / j'essaie d'être gai mais/ j'écris c'que j'ai… »)

L’apparition d’Ali rappelle un peu le featuring des Lunatic sur 16 Rimes de La Brigade : court mais intense, limite j’te vole la vedette sans forcer. Le remake de ce titre sur le 1er LP de Busta Flex était déjà voué à être ridicule avant même d’avoir été commis :

« O.X.M.O Puccino, qu’est c’qu’on dit à ceux qui jouent les Nino/Brown, ici j’représente les mino/rités, mon créneau/donné de naissance, / sado inné pour dominer avec de l’aisance/ mon expérience me donne l’impression à 20 piges passées d’en avoir 50/ sache que le peu de respect qu’j’ai va pour mes parents/ j’pourrai prêcher la bonne parole comme un témoin de Jéhovah/ mais comment veux tu/ que/ dans ce monde de putes/ je/ puisse dire aux gosses que tout va bien/ A.L.I pour le Bridge/ lyrics de prestige. »


Tek des Refrès défonce littéralement le sample de Qui d’Aznavour avec L’Or Noir, meilleur titre du groupe jusqu’à aujourd’hui (alors que ce titre n’est qu’un solo en fin de compte, oui je sais), Dezé dépose sa carte de visite vinyl sur la cassette mixée, se payant même la fin de la face B avec sa troupe Les Diksas / Issus de L’Ombre, encadrant le brûlant Les Vrais Savent des Lunatic avec le grand absent du projet qui s’exprime enfin par un moyen détourné.

A noter les absences de gens comme Fabe, les collectifs du Ménage A 3, de La Cliqua ou d’ATK (même si on peut chipoter avec la présence des Refrès, ok) qui n’auraient pas démérité non plus. Mais le regret culmine lorsqu’on relit le texte promotionnel annonçant la sortie de la tape dans un des catalogues Passe Passe :


La cassette réunit sur une face les Freestyles exclusifs de :

Ali (Lunatic)/Rappeur Dezé/Monsieur Hill (Xmen)/Cassidy (Xmen)/Hi-Fi/Oxmo Puccino/Pit Baccardi/Ekoué & Le Franc-Tireur (La Rumeur)/Ärsenik/Kéry MC (Ideal J)/113 Clan/Mafia Cainfri (94)/Kamal & Kassim (Jedi)/Les Refrés/La Brigade.

Sur l'autre face,une sélection serrée de nouveautés,d'inédits et d'introuvables enchaînés & mixés par Dj Chester,Lord Issa,& Dj Noise des Natural DJ's avec : Les inédits "
J'Crache Ma Vérité " & " Article XI (Liberté D'Expression) " enregistrés cet hiver par la crème du rap français ( Akhenaton/Fonky Family/Rappeur Dezé/Little Ronnie/Expression Direkt/Ärsenik/Ministère Ä.M.E.R) en réaction à la condamnation anti-constitutionnelle prononcée contre NTM en octobre + " Jeu D'Enfant " ,le détonnant 1er single de Dezé produit par Juju, sérieux pavé dans la " mare aux canards " du rap français, + le superbe " Esprits Mafieux "d'Oxmo Puccino avec Ali des Lunatic, exclusivement enregistré pour une diffusion underground, + " Criminel ", le cri de ralliement des lascars de Garges-Sarcelles et de Meaux avec Passi et Stomy B. du Ministère Ä.M.E.R, Arco & Mystik, Ärsenik & Ben-J des Neg Marrons , + "Le Retour Du Shit Squad " , l'irrésistible hymne à la fumette de la Fonky Family, Faf Larage, Sentenza, Freeman & Le 3è Oeil + Bien d'autres morceaux triés parmi les succès underground , les classiques et les incontournables du rap en français.


Il en sera autrement au final. Problèmes de droits, embrouilles quelconques, on ne connaîtra jamais les raisons du remaniement tout comme on ne verra jamais la couleur de la version initiale de la K7, même si une des sessions studio a au moins bel et bien eu lieu.
La preuve ? Un papier de Jean-Pierre Seck dans L’Affiche, quelques temps avant la sortie du projet. Spots braqués vers Thibault de Passe Passe avec une anecdote :

« (…) Un des titres phares de cette k7 risque d’être le morceau ‘J’Crache ma vérité ‘. On y retrouve notamment Luciano Le Rat, parfait exemple de l’éclosion du rap français. « On a sorti l’instru en studio et on a proposé à la Fonky Family d’écrire sur la liberté d’expression. Ils ont tous suivi mais Le Rat avait l’air vraiment ailleurs. Il est reparti cinq minutes après son arrivée. On a du prendre la voiture et on l’a cherché pendant trois quart d’heure. Il était en train de chercher une bière pour ambiancer. On l’a ramené au studio, il a fait sa première prise. C’était de l’or pour les oreilles. Lui n’en était pas content. Le mec a fait neuf prises, neuf raps différents. Il n’arrivait pas à faire la dernière. Il a demandé qu’on baisse la lumière, s’est mis à genoux dans la cabine, a baissé son micro à hauteur de la bouche, mis son bonnet sur la tête pour ne rien voir et être concentré sur ce qu’il disait. Il a fait sa meilleure prise. »



Oui oui, ça fait toujours mal, même presque 10 ans après : à la fois la tape finale que nos lecteurs K7 ont joué des dizaines de fois, et son fantôme jamais sorti et ultra fantasmé par ceux connaissant son existence.